Crise climatique, perte de la biodiversité, chute de la fertilité des sols, raréfaction des ressources minérales et fossiles, pollution : l’extraction et la transformation des ressources sont en partie responsables de la crise environnementale que nous vivons.
Selon les projections, la consommation de matières (biomasse, matières minérales et fossiles) devrait doubler d’ici 2050 à l’échelle de la planète. La production de déchets suivrait la même courbe exponentielle pour augmenter de 70% sur la même période.
A titre d’exemple, en Europe, 100 millions de tonnes de déchets plastiques sont traitées chaque année, dont moins de 30% sont recyclées.
Sans transformation rapide du modèle économique actuel vers un modèle plus soutenable et respectueux des limites planétaires, c’est l’avenir des générations futures qui est compromis.
Lorsque nous examinons ce qui est vraiment durable, le seul véritable modèle qui a fonctionné pendant de longues périodes est le monde naturel, rappelle la biologiste Janine Benyus, qui a popularisé le concept de biomimétisme.
Quelles sont les solutions ? Comment s’engager dans la transition ?
Rappelons d’abord que le système économique que nous connaissons ne représente qu’une courte parenthèse dans l’histoire de l’humanité.
Ce n’est que dans les 30 glorieuses que s’est imposé ce modèle de consommation exponentielle des ressources qui a pour corollaire le développement d’une économie du jetable et du gaspillage, avec une prolifération de petits objets pas chers, peu durables et non réparables.
A la base de cette accélération, il y a la révolution industrielle qui en rendant l’énergie disponible a permis l’extraction de ressources à grande échelle, à moindre coût et moindre effort humain. La valeur accordée à la ressource a changé. Lorsqu’une machine permet d’excaver en quelques heures les tonnes de pierre qu’un tailleur mettait une vie à sortir, leur valeur réelle et symbolique diminue. La disponibilité de la ressource ouvre la voie à son gaspillage.
Nous avons peu à peu perdu de vue la circularité qui est au coeur du fonctionnement de la nature.
Explorant les principes du Vivant, Hoagland et Dodson éclairent notre réflexion sur la transition. Parmi les 16 principes qu’ils présentent, n’en citons que trois :Premier principe, les systèmes vivants recyclent tout ce qu’ils utilisent. Ce qui est absorbé équivaut à ce qui est rejeté ; “ces échanges interviennent d’une manière si fluide que la distinction entre produire et consommer, déchet et nourriture, finit par disparaître ». Au niveau d’un écosystème, l’optimisation prévaut sur la maximisation, et met aussi en oeuvre une multifonctionnalité.
Par exemple, si toutes les graines d’une espèce cherchaient à maximiser leur croissance, en germant le plus tôt possible, cette espèce deviendrait à la merci d’un aléa climatique. Certains spécimens sont ainsi plus tardifs : moins productifs, ils permettent d’optimiser la survie du groupe et de le rendre plus résilient.
Deuxième principe, dans le monde vivant, la compétition se déroule sur la base d’une coopération. Chaque individu suit son propre intérêt, mais dans une forme de coopération collective. La relation entre la proie et le prédateur conduit ainsi à une forme de symbiose. Prenons l’exemple du lion qui prélève sur le troupeau de gazelles les éléments les plus faibles, ce qui permet aux individus les plus forts de se reproduire.
Troisième principe, le vivant est interconnecté et interdépendant. A l’échelle d’un écosystème, toutes les espèces sont intimement reliées et co-évoluent. Si l’une d’entre elles modifie sa stratégie, tout l’écosystème est impacté et se transforme pour s’adapter. A seul titre d’exemple : en tant qu’être humain, notre survie dépend de l’oxygène généré par les végétaux et nous hébergeons des milliards de bactéries dans notre microbiote intestinal sans lesquelles nous ne pourrions métaboliser les aliments que nous ingérons.
Repartir des principes de fonctionnement du vivant nous donne des clés pour transformer notre modèle économique et le rendre plus circulaire et régénératif.
Qu’est-ce que l’économie circulaire ?
Selon la définition de l’ADEME, l’économie circulaire est “un système économique d’échange et de production qui, à tous les stades du cycle de vie des produits (biens et services), vise à augmenter l’efficacité de l’utilisation des ressources et à diminuer l’impact sur l’environnement tout en développant le bien être des individus.”
Avec l’enjeu de décorréler l’activité économique de la consommation des ressources finies, l’économie circulaire vise à supprimer les déchets et la pollution, allonger la durée d’utilisation des produits comme des ressources et limiter l’empreinte écologique de notre activité économique.
Des pionniers ont ouvert la voie et exploré de nouvelles manières de faire. L’enjeu est à présent d’élargir ces pratiques aux acteurs économiques traditionnels afin de changer d’échelle.
C’est l’ambition que l’Union européenne s’est fixée à travers le Green Deal avec ce triple objectif : atteindre la neutralité climatique à l’horizon 2050, renforcer sa compétitivité à long terme et instaurer un modèle économique inclusif ne laissant personne de côté.
De nouveaux business modèles cherchent à “boucler la boucle”. Nous les avons classé en 6 catégories que nous vous proposons d’explorer pour appréhender les principes et les ressorts de la circularité à travers des initiatives concrètes qui font leurs preuves.
Les 6 modèles de l’économie circulaire
Recyclage et up-cycling
Le principe
Transformer les déchets en ressources, produire des biens biodégradables, redonner vie à des biens en fin de vie.
Les pionniers
Redisa (Recycling and Economic Development Initiative of South Africa) : Créée en 2012, cette organisation sud-africaine organise la collecte des pneus jetés dans des dépotoirs et leur recyclage ou réutilisation par des professionnels agréés. Le programme est financé par un prélèvement obligatoire sur le caoutchouc neuf introduit par le gouvernement. Ce système, outre son impact environnemental et de santé, bénéficie au développement économique en créant de l’emploi pour les personnes et les communautés les plus précarisées. En savoir plus : https://ec.europa.eu/environment/ecoap/about-eco-innovation/experts-interviews/redis
Ecovative, une société américaine, produit des packaging entièrement compostables, à partir de champignons. Cette matière première légère et facilement thermoformée se prête à la conception d’emballage de produits de grande consommation. Une fois utilisé, il est compostable à la maison. L’entreprise crée ainsi une alternative durable à l’utilisation de matériaux synthétiques polluants comme le polystyrène. En savoir plus : https://mushroompackaging.com/welcome
En matière d’up-cycling, certains secteurs, comme la mode ou l’ameublement voient les initiatives se multiplier. Pointée du doigt comme l’une des industries les plus polluantes (responsable de 20% des eaux usées et 10% des émissions de carbone, selon la fondation Ellen Mac Arthur), l’industrie de la mode représente de manière assez emblématique l’idéologie du jetable et de l’obsolescence. La tendance à l’up-cycling y émerge néanmoins depuis quelques années. Portée jusque-là par de petites marques, elle semble prendre de l’ampleur. Le directeur artistique de Louis Vuitton hommes a ainsi dévoilé il y a quelques mois la collection été 2021, créée à partir de pièces des collections précédentes ou de chutes de matériaux et a présenté à cette occasion son “up-cycling ideology”.
Durée de vie des produits
Le principe
Concevoir des produits plus durables, dans une démarche à rebours de l’obsolescence programmée.
Les pionniers
Asphalte, une jeune entreprise française se propose de réinventer une mode qui dure. Elle propose une gamme de produits réduite (pulls, pantalons,…) de qualité et intemporelle. Ce modèle qui s’appuie sur la force de son marketing digital, met au coeur de sa stratégie une communauté de client qui participe à l’élaboration des produits via des questionnaires. Asphalte propose un système de pré-commande afin de limiter les stocks et les invendus, responsables d’un surcoût répercuté dans le prix des produits. En savoir plus : https://asphalte.com/pages/a-propos
Fair Phone
Cette entreprise néerlandaise propose le premier smartphone durable et équitable. Elle a choisi de mettre en place une chaîne d’approvisionnement responsable pour les minéraux les plus “critiques”, ceux dont les conditions d’exploitation sont les plus susceptibles de contribuer au travail des enfants ou aux conflits armés.
Fairphone s’engage également à assurer des conditions de travail justes à ses employés. Pour lutter contre l’obsolescence programmée, les appareils sont réparables et modulables : il est possible de changer certains composants soi-même. En savoir plus : https://www.fairphone.com/fr/story/
Supply chain circulaire
Le principe
inclure dans la conception produit les étapes de recyclage ou de réutilisation, qui ne sont plus externalisées mais opérées par le fournisseur du produit lui-même. Ce modèle se combine fréquemment avec celui de la fonctionnalité.
Les pionniers
Desso (filiale du groupe Tarkett) propose des revêtements de sols développés selon une approche “craddle to craddle”. L’entreprise dispose de ses propres centres de récupération et recyclage permettant de recycler l’intégralité des matériaux contenus dans ses dalles. Elle met également en oeuvre une démarche d’éco-conception et cherche à améliorer la qualité environnementale de ses produits. En savoir plus : https://professionnels.tarkett.be/fr_BE/decouvrir-tarkett
Economie symbiotique
Le principe
Mettre en place un système entre différents acteurs, au sein duquel les déchets des uns deviennent les ressources des autres.
Les pionniers
Kalundborg est une ville portuaire danoise de 20.000 habitants, devenue un des exemples les plus emblématiques de symbiose industrielle.
Un système de coopération entre industriels s’est mis en place pour échanger matières, eau, énergie de manière lucrative. La centrale électrique fournit de la vapeur d’eau à différents industriels ainsi qu’à la municipalité qui l’utilise pour le chauffage urbain. La raffinerie de pétrole Statoil, vend à la centrale ses eaux usées utilisées pour le refroidissement. L’eau tiède rejetée par la centrale est utilisée par une ferme piscicole à proximité. Une unité de désulfurisation de gaz fournit du gypse à la société Gyproc qui jusque-là se fournissait à l’étranger….
Cette symbiose qui fonctionne depuis une vingtaine d’années et met en réseau plus de 25 entreprises, a été soutenue depuis l’origine par la municipalité.
Denso
L’entreprise qui produit des unités d’air conditionné génère chaque année 15 tonnes de fluoride d’aluminium, un produit classé comme déchet dangereux. Un partenariat avec Mil Ver Metals qui utilise cette ressource dans ses processus industriel a permis de transformer le déchet en ressource tout en évitant les coûts (autour de 45.000 euros par an)
Consommation collaborative
Le principe
substituer à la possession individuelle d’un bien sa mutualisation, son échange, son troc ou son partage. Augmenter l’usage en optimisant une capacité disponible (d’un bien immobilier, d’un moyen de transport,…)
Les pionniers
Cette pratique de consommation alternative s’est développée grâce à l’essor des plateformes digitales permettant de mettre en lien professionnels ou particuliers. Parmi elles, nous pouvons citer Air BnB, HomeAway, Blabalcar, Swapfiets.
La durabilité de ce modèle porte néanmoins à discussion. Certains le considèrent comme une voie vers des sociétés décroissantes, plus inclusives, favorisant le partage et le renforcement des liens sociaux. D’autres pointent l’idéologie consumériste qui le sous-tend. Ils arguent que la diminution du coût du service ou du bien crée un effet rebond. Ce moindre coût accélère la consommation en générant au passage des effets collatéraux destructeurs. Pour ne donner qu’un exemple, le développement de la plateforme Air BnB est accusée de profiter prioritairement à des consommateurs à haut niveau de revenu. En leur offrant la possibilité de multiplier les séjours, elle contribuerait en fait à la pollution due au transport et à la hausse vertigineuse des loyers au cœur des métropoles touristiques.
Économie de la fonctionnalité
Le principe
Selon la définition de l’ADEME, l’économie de la fonctionnalité consiste à fournir des solutions intégrées de services et de biens reposant sur la vente d’une performance d’usage ou d’un usage et non sur la simple vente de biens. Les solutions visent à diminuer la consommation des ressources naturelles tout en contribuant au bien-être des personnes et au développement économique.
Les pionniers
Michelin
L’entreprise propose à ses clients transporteurs routiers des solutions de mobilité qui combinent fourniture de pneus et services associés. L’objectif est d’optimiser le poste pneu pour le client, à travers une diminution de la consommation de carburant. Michelin prend en charge la formation des chauffeurs à l’éco-conduite, l’installation de boîtiers télématiques pour le suivi des véhicules et de leur consommation de carburant, l’analyse des données impactant la consommation. Une relation gagnant-gagnant entre l’entreprise et ses transporteurs se met en place sur le plus long terme.
Qu’est ce qui aujourd’hui freine le déploiement de plus de circularité ? Comment accélérer la transition ?
Tout système résiste à sa transformation. Or, le système économique linéaire dont nous devons sortir est complexe et structuré. Notre “logiciel mental” aussi bien individuel que collectif est consumériste et court-termisme, centré sur le bien-être, l’immédiateté, la vitesse. C’est tout un paradigme qu’il faut changer, ce qui demande du temps et du volontarisme. L’évolution du cadre réglementaire vers quelque chose de plus contraignant semble indispensable, tout comme l’instauration d’incitations financières pour le consommateur ou de financements pour les porteurs de projet, financements qui permettront à des produits plus vertueux d’émerger dans un marché concurrentiel.
Nombreux sont les paramètres sur lesquels nous devons jouer. Leur convergence sera bien évidemment décisive pour rendre possible une transition à horizon de 5 à 10 ans.
En premier lieu, il doit y avoir une réelle volonté politique fixant un cadre réglementaire favorable, et orientant les investissements publics.
En parallèle, un changement culturel, tant à l’échelle individuelle que collective, est essentiel. Pour que la circularité se développe, nous devons sortir de l’ère des pionniers. Il est donc indispensable que de nouvelles normes sociales favorisant la frugalité et la consommation de biens immatériels soient adoptées par le plus grand nombre. Rien ne changera vraiment tant que les consommateurs eux-mêmes ne s’orienteront pas plus massivement vers des produits durables, éco-conçus, et portés par des marques positives.
Les évolutions technologiques – on pense notamment aux innovations digitales et à intelligence artificielle – peuvent apporter une réelle contribution à la mise en place de la circularité à plus large échelle, en permettant l’optimisation et le sourcing performant des ressources.
Enfin, dernier paramètre, il est nécessaire de travailler sur les conditions techniques de la mise en place d’une supply chain inversée. Il s’agit en effet pour les entreprises de réussir à mettre en place une organisation logistique, comprenant un système de récupération des produits auprès du client final, lorsque ceux-ci sont défectueux, insatisfaisants, ou en fin de vie, mais également un système de récupération des emballages auprès des clients, intermédiaires et/ou utilisateurs finaux afin de les réintroduire dans le cycle de production et d’utilisation.
Conclusion
Les crises que nous affrontons nous rappellent que la circularité n’est pas une option dans un monde aux ressources finies. Nous ne pouvons probablement pas espérer nous en sortir par une amélioration graduelle et partielle du modèle actuel. Pour construire un futur plus désirable, un réel changement de paradigme est nécessaire. La transformation est complexe et se jouera à de multiples niveaux : appareil productif, cadre réglementaire, culture et comportements, mise à disposition des technologies…La collaboration entre les acteurs économiques traditionnels et les nouveaux entrants sera clé, tout comme la volonté politique et enfin l’engagement de chacun. De nous tous, qui portons aussi en tant que travailleur, consommateur et citoyen la responsabilité de faire de l’économie circulaire une réalité et un horizon désirable pour demain.
- Constance MathieuSenior consultantconstance.mathieu@orizome.fr
- Pascal DurduBâtisseur d'écosystèmes durables
- Thierry ChappéTransition des organisationsthierry.chappe@orizome.fr
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